What the f***?! [Réservé]

Comme il détestait ces voix désincarnées que l'on entendait dans les églises. D'ailleurs, il n'appréciait pas spécialement ces édifices toujours lugubres, en vieilles pierres glacées. En hiver, on crevait de froid et le chauffage ne semblait pas être dans les priorités de ces curetons bedonnants aux veinules des ailes du nez éclatées par la couperose. Beaucoup de prêtres n'aimaient pas John. Trop franc, trop grande gueule, trop affranchi. Constantine était dans l'excès et à des milles de l'idée que l'on peut se faire du champion du Bien. A sa manière, il opérait sa propre rédemption. Il y avait toujours cette tâche inaltérable sur son karma, ce grand plongeon qui lui a ouvert les portes de l'Enfer. Mais, il bénéficie d'une seconde chance.
Une seconde chance?
Mon cul, ouais. Cet enfoiré de Lucifer avait gâché son baroud d'honneur. Le Déchu était venu cueillir l'âme de l'homme qui lui avait renvoyé tant de ses sous-fifres au bercail, pour finalement, manquer de se le faire souffler sous le nez. Les blessures de John s'étaient refermées avant qu'il ne puisse expirer. Le cancer qui rongeait ses poumons avait été arraché de sa poitrine. Son ascension avait été stoppée. Et il ne faisait aucun doute que Lulu allait l'observer avec beaucoup plus d'attention. Il avait pas dû encaisser le magnifique "fuck" qu'il lui avait envoyé tandis que les portes célestes s'apprêtaient à le laisser entrer. Lulu allait guetter la moindre de ses erreurs, le plus petit péché. Il allait lui envoyer ses sbires les plus doués et talentueux pour le faire chuter. L'âme de Constantine a depuis longtemps sa place en Enfer. Il était hors de question qu'une des pupilles de Lucifer lui échappe.
La seconde chance de Constantine était une malédiction. Une putain d'épée de Damoclès qui oscillait dangereusement au-dessus de sa tête. Il avait arrêté de fumer mais pensait de plus en plus à provoquer de nouveau le crabe qui moissonnait tant de vies. Il buvait toujours mais plus modérément. Mais était-ce suffisant? Avait-il déjà fait la connerie qui le ramènerait à la case Départ? Mourir l'angoissait lorsqu'il se savait condamné et damné. A l'heure actuelle c'était pire. Constantine avait la désagréable impression que quoiqu'il fasse il sera toujours en sursis, mais que fatalement il se plantera.

Le soleil se couchait lentement. Les ultimes rayons de l'astre diurnes allongeaient les ombres sur l'asphalte et les murs. Une moiteur étouffante régnait dans les rues. L'air était orageux et la ville attendait avec impatience que le ciel se déchaîne pour retrouver sa sérénité. Malgré la chaleur malsaine ambiante, Constantine était vêtu de son sempiternel costume noir. Les mains enfoncées dans les poches de son pantalon, il se dirigeait vers la cathédrale. QG de ce qu'il appelait la "Youyou Force", il savait qu'il y croiserait des gens de la Maison. Constantine répugnait à considérer ces hybrides commes des "collègues". Depuis la trahison il y a quelques temps de Gabriel, il les regardait tous avec suspicion et se montrait plus irrespectueux que jamais à leur encontre. Il y avait beaucoup d'églises dans cette cité, mais c'était celle-ci qu'il devait visiter. Comment le savait-il? Une intuition divine. Comme si le Barbu lui même soufflait inconsciemment à ses oreilles où il planquait ses forces.
Le regard sombre de Constantine se posa sur les doubles portes de bois. Un petit pannonceau, noircis par les graffitis d'une génération paumée, était sensé avertir les paroissiens des prochaines actions de la communauté. On ne distinguait que quelques phrases sybillines sous les insultes et les messages contestataires. "Gala de char...", "Des monts et merveilles...", "ces lentes et cristallines", "Solidarité, ça tempère ton coeur". Un rire bref s'échappa de ses lèvres. Est-ce-que le cureton de cette église se rendait réellement compte de ce qui était écrit là? Détournant les yeux, il s'écarta rapidement pour laisser sortir une ouaille décrépite qui serrait son sac à main contre elle et quittait le lieu saint pour se replonger dans l'enfer de la cité. Constantine la regarda s'éloigner. Elle trottinait et jettait des coups d'oeil inquiets tout autour d'elle. Etait-ce tout ce que le Ciel proposait aux humains? Une heure de messe durant laquelle ils se sentent en sécurité. Foutue époque pourrie.

Toujours la même odeur de cierge brulé, d'encens capiteux, le même arôme de la vieillesse et du désespoir qui collait à la peau des humains. Pas un bruit à part le CD de cantiques niais qui répandaient ses chants sirupeux dans la vaste nef. Il y a belle lurette que les regards de pierre des Saints n'angoissent plus John. Il sait à quoi s'en tenir avec ces derniers qui ont visiblement oubliés d'où ils venaient pour la plupart. Le son de ses pas se répercutait sur les colonnes de pierres, sur les boiseries représentant le calvaire du Christ. Un immense tableau se dressait dans le choeur. Une vision idyllique et chiante du Paradis destinée à rassurer les braves petites brebis.
John se laissa tomber au premier rang. Il venait d'arriver en ville et il avait besoin de savoir ce qui se passait dans ces rues et pourquoi une traqueuse l'avait appelée affolée. Nonchalamment, il croisa les jambes, se vautrant sur le banc. Ca aussi c'est encore un point commun à tous les bâtiments religieux...leur mobilier est si inconfortable que l'on est heureux à l'idée de se lever pour "rendre grâce à Dieu". John s'était toujours demandé ce que le barbu avait à compenser pour nécessiter des lieux de culte aussi immenses. Sans aucune gêne, il sortit un paquet de chewing-gum de sa poche et commença à mastiquer consciencieusement une tablette, osant jusq'à former des bulles. Constantine n'était pas du genre patient, et il poussait la provocation à son paroxysme en attendant que la Youyou Force réagisse.
Si dans deux minutes personne n'est venu à sa rencontre...il posa le regard sur un confessionnal. Pisser dans une église, ça damne son âme ou pas?