Devil is inside me

Angelica. - « Docteur, je vous assure qu'il est brûlant. »
Docteur. - « Je vous en prie Mrs White, je sais encore tenir compte de la température de mes patients. » fit alors l'homme aux cheveux gris, claquant d'agacement sa langue contre son palais. « Blake ? Blake tu m'entends ? »
BLAKE. - « Laissez-moi partir. »

Un murmure, comme un dernier souffle prononcé dans un dernier élan de douleur. Le front en sueur, le regard éteint, le visage blême, cela faisait quelques jours déjà que le jeune adolescent ne quittait plus son lit. Parcouru de spasmes incontrolables et habité d'une forte fièvre difficilement supportable, il suffoquait encore des affres de cette maladie étrange et inconnue qui l'habitait. Epuisé, le jeune homme n'avait pour lui plus que la force de prononcer quelques mots, refusant de manger et rendant toute nourriture que sa mère parvenait tout de même à lui faire avaler. Mrs White était une belle femme aux cheveux blonds et aux yeux azurés, un ange à la peau opaline et à la douceur suave. Mais l'inquiétude avait sculpté son visage séraphin, elle n'en dormait plus la nuit, à passer des jours durant au chevet de son fils ; un sourire tendre pour lui lorsqu'il était conscient, et des larmes salées à flot lorsqu'il parvenait à trouver le repos, entre maladie souffreteuse et le mal lui rongeant le corps. Angelica réprima un gémissement sanglotant sous les paroles de son fils comme une main réconfortante vint lui enserrer l'épaule. Mr White, un bel homme qui avait toujours pour lui un sang froid légendaire, avait encore du mal à cacher ses inquiétudes. Sa gorge se noua sous le coup de grâce des mots si sincères de Blake, qui ne voulait dire qu'une seule chose : la souffrance était telle, qu'il ne songeait plus qu'à laisser la vie derrière lui. Alors il se redressa, prêt à réprimander son fils d'une colère froide ; comment pouvait-il dire de telles choses ? Mais les mots restèrent coincés dans le noeud de sa gorge, murés par une tristesse qui le rendait aphone sur l'instant. Le regard sombre du jeune Blake se leva sur le médecin penché sur son lit, dont la seringue habile se planta sous la peau du jeune garçon. Le docteur Milton secoua la tête dans un bref soupir, une oeillade compatissante pour l'adolescent.

Docteur. - « Allons mon garçon, ne dis pas de sottises. Tu es encore si jeune. Tu as quel âge ? »
BLAKE. - « Vous essayez de changer de conversation. »

Un sourire froidement amusé sur les lèvres du jeune malade, un rire jaune et léger, il avait compris sous la réponse évasive du médecin, qu'en somme il n'était pas impossible qu'il ne quitte la terre des vivants. Le docteur plongea son regard dans le sien, se trouvant nez à nez avec l'esprit vif de ce jeune adolescent fort intelligent ; beaucoup d'autres personnes se seraient restreintes à se laisser berner par le piège des questions amicales pour détourner le sujet. Un silence s'installa alors, quand le visage du docteur se fit déjà plus grave. Il retira la seringue avant de la ranger dans une poche de cuir posée sur la table de chevet. Il était inutile de répondre à ce jeune garçon qui déjà avait pour lui la beauté des anges et le génie des grands hommes, pourquoi fallait-il que le ciel ne reprenne les innocents, aimait-il les martyrs à ce point pour demeurer aussi injuste ? Milton soupira, avant de se lever non sans détourner le regard de son patient.

Docteur. - « Je t'ai administré un analgésique, pour faire passer la douleur. Si demain tu ne manges toujours pas, je serai forcé de t'hospitaliser. Mais ce n'est pas ce que tu veux, n'est-ce pas ? » Pas de réponse, le jeune adolescent n'avait jamais été bavard, mais ses silences étaient significatifs. Le docteur soupira avant de se tourner vers le couple White à la mine inquiète. « Pourrai-je m'entretenir avec vous ? »

Ils acquiescèrent sans mot dire, bien que Mrs White ne put parvenir à retenir un nouveau sanglot. Blake détourna la tête, ne souhaitant pas voir leurs silhouettes découpées dans l'ombre passer le seuil de la porte. Il ferma alors les yeux, sur l'insupportable idée de savoir que malgré cette fatigue tenace, il ne parviendrait pas à s'endormir. Dans le couloir, les bruits de pas agités résonnèrent ; Mr White invita le docteur à prendre le chemin du salon. A l'intérieur déjà, une jeune fille à la chevelure brune et au ventre rebondi, la beauté rayonnante mais le visage teinté de tristesse, les attendait déjà. Elle se leva lorsque les trois silhouettes passèrent alors la porte, un regard inquiet et interrogatif envers les nouveaux venus. Angelica lui sourit alors tristement, incapable de prononcer un mot sans verser une larme, ce fut son mari qui prit la parole.

Davis. - « Blake est atteint de cette même étrange maladie que tu as eu il y a plusieurs mois, ça ne fait aucun doute. »
Lëtalia. - « Alors il va s'en sortir ? » demanda-t-elle d'une voix douce mais angoissée.

L'on se tourna vers le docteur qui détourna brièvement le regard avant de le reposer sur l'ensemble des personnes présentes. Enfin, sous le soupir soulagé d'Angelica, ce dernier hocha la tête.

Docteur. - « Et bien, je dois avouer pour le cas de Blake, les symptômes sont encore plus violents... Je ne veux pas que vous vous voiliez la face, si dans quelques jours la fièvre ne tombe pas... Mais il vivra mademoiselle. Et il fera un père admirable. » dit-il dans un sourire envers la jeune Lëtalia après avoir scruté dans un pincement au coeur, tous ces visages abattus.
Lëtalia. - « Je vous en prie, ne dites rien si ce n'est que pour quelques mots de réconfort. Ne me parlez que de vérité. »

La belle soutint son regard, sous le silence accablant du médecin. Alors, dans un élan de tristesse, mêlé à cet espoir insolent, Lëtalia passa d'un pas vif le seuil du salon, avant de monter les escaliers en vitesse malgré ce léger ventre rebondi. La porte de la chambre plongée dans l'obscurité s'ouvrit sur la silhouette de la jeune fille, un ange aux traits doux, dont le parfum suave fit détourner la tête de Blake. Le jeune homme eut pour lui un sourire en coin, un peu trop sombre, comme Lëtalia alla s'asseoir auprès de lui, tenant sa main et frôlant son front brûlant de ses doigts.

Lëtalia. - « Dis le... Dis le que tu lutteras encore. Ne me laisse pas. » murmura-t-elle dans quelques larmes vagabondes.
BLAKE. - « Mon ange, cela fait déjà trop longtemps que je t'aime. Je ne veux pas que tu t'en lasses. »

Il eut alors un léger sourire, sous le rire triste de la jeune fille qui serra d'avantage la main de son amant. Ils étaient déjà si jeunes, mais si amoureux. Du haut de leurs dix-huit ans, ils voulaient refaire le monde, partir à sa conquête, et voulaient pour eux un enfant qu'elle portait déjà dans son ventre. Jeunes, insouciants mais amoureux, habitant alors dans un appartement plus que modeste, le luxe n'était pas leur préoccupation première, tant qu'ils étaient ensemble.

Lëtalia. - « Tu n'arrêteras jamais... de dire des sottises, pas vrai ? »
BLAKE. - « Tout ira bien pour toi... »
Lëtalia. - « ...Tu es ma vie désormais alors ne la brise pas. »
BLAKE. - « ... tu trouveras quelqu'un d'autre. Mais celui-là sera riche... »
Lëtalia. - « ...Blake, ce n'est pas drôle. »
BLAKE. - « ... mais fais moi plaisir de là haut, et rends lui la vie infernale. Toi et notre fils. »
Lëtalia. - « C'est une fille. » fit-elle dans un sourire teinté de larmes.
BLAKE. - « Elle sera magnifique. »
Lëtalia. - « Et tu seras là pour la voir. »

Elle retint quelques larmes dans un sourire que lui soulevaient alors les dires de son amant. Blake avait toujours été un jeune homme sombre et mystérieux, mais en compagnie de la belle, il devenait un jeune homme attentionné. En ce jour, il voulait la faire rire pour lui faire oublier ses inquiétudes. Et la belle s'en rendait compte, lui étant alors reconnaissante. Les jours passèrent, et l'on se retrouva soulagé de voir que Blake se remettait peu à peu sur pied. Il retrouvait des couleurs, mais étrangement son regard s'était durci. Le jeune homme devint agressif, portant sur lui cet éternel sourire carnassier. L'on frémissait lorsqu'il rentrait dans une pièce, l'on se sentait oppressé de ce regard froid et empli de mauvaises intentions qu'il portait alors sur les autres. Blake avait pour lui les effluves noires du diable. Inquiète, la mère de ce dernier appela alors la belle Lëtalia, lui priant de tenter d'aller lui parler, puisqu'il n'écoutait plus personne. La belle se rendit alors à son chevet, bien que le malade ne l'était plus ; on l'avait obligé à se remettre de sa fatigue chronique en demeurant couché. Cependant, lorsqu'elle ouvrit la porte de sa chambre, elle tomba nez à nez avec un jeune homme à la silhouette droite, au regard de braise et au sourire carnassier. Lëtalia se stoppa sur le seuil ; l'ange avait compris.

Lëtalia. - « Blake, on rentre à la maison. On rentre chez nous. »
BLAKE. - « Mon ange, dis moi que tu m'aimes. » fit-il de sa voix grave, basse et suave.
Lëtalia. - « Je t'aime Blake. Ca ne changera jamais. »
BLAKE. - « Bien. Je peux partir l'esprit tranquille alors. Te dire que je ne veux plus de toi, et te sentir consummer par les affres de la tristesse. »

La belle jeune fille, abattue, réprima quelques sanglots étouffés alors que le jeune homme aux effluves ténébreuses l'enlaça dans un sourire divin et carnassier. Puis il se pencha à son oreille, dans un geste suave et sensuel, avant de lui prononcer quelques autres paroles envenimées.

BLAKE. - « Je peux te sentir souffrir. Tu ne peux pas savoir à quel point, cela me fait du bien. Je serai présent, lorsque ton coeur lâchera. Je te le promets. »

Un dernier sourire cruel pour la jeune femme, et il passa le seuil de la porte sans jamais se retourner, malgré les larmes de Lëtalia. Blake ne revint jamais chez lui, ni même de donna de nouvelles à personne. Il se sentait revivre, sous la coupe d'un autre lui si différent.